II. LES INFLUENCES
a) Charles Ives

Les influences musicales de John Adams sont multiples, mais il y en a une qui est plus importante que les autres, c’est celle du compositeur américain Charles Ives (1874-1954).
Charles Ives est l’un des premiers compositeurs « savants » nord-américains. Son père était chef de la musique militaire durant la guerre de Sécession. C’est là que Charles Ives découvre la musique de fanfare (influence identique à celle de John Adams). Il étudie la musique avec son père, puis à l’université de Yale où il découvre la musique « savante » (encore un point commun avec Adams). Il s’intéresse à toutes les musiques de son temps.
Son style musical est marqué par l’expérimentation (dodécaphonisme européen, polyrythmie, polytonalité, etc.), mais ne se détache néanmoins jamais des sonorités des fanfares, du jazz ou de la chanson folklorique américaine.
Un exemple avec Central Park In The Dark, une pièce surprenante qui date du tout début du XXe siècle. C’est une pièce angoissante qui évoque la nuit, où viennent soudainement se bousculer des sonorités étranges et éloignées de fanfare, de jazz et de ragtime. Le tout de manière tout à fait chaotique, mais pas complètement déstructurée comme peuvent l’être les musiques d’avant-garde européennes. Les mélodies qui se superposent sont très tonales individuellement, mais ne fonctionnent juste pas les unes avec les autres (polytonalité et polyrythmie). Le fil des mélodies n’est néanmoins jamais perdu, ce qui engendre une musique, certes difficile à écouter, mais dans laquelle il est possible de s’accrocher à quelques éléments pour en suivre le parcours.
ECOUTE : Central Park In The Dark (1906), Charles Ives. Extrait vers 4’30. Central Park, la nuit, puis intervention des vents et du piano (sonorités jazz très chaotiques), grand crescendo, puis retour au calme.
Un procédé similaire dans cette pièce très étonnante, devenue une pièce culte et utilisée à de nombreuses reprises comme musique de film, The Unanswered Question (1908).
ECOUTE : The Unanswered Question (1908), C. Ives. Un fond sonore aux cordes, très consonant, enveloppant, nostalgique, une seule et unique phrase à la trompette dans une autre tonalité (comme une question qui revient sans cesse) et un écho énigmatique et dissonant des vents, un ultime retour de la question à la trompette à la toute fin. Un caractère général très étonnant et très moderne pour l’époque.
On retrouve ce style simple et complexe en même temps dans la pièce Three Places in New England. L’utilisation des airs folkloriques américains et du jazz est particulièrement importante dans cette pièce et renforce cet effet simple et complexe, car ils fournissent à l’auditeur des points de repère. De cette manière, Ives rend sa musique accessible malgré l’utilisation importante de chromatismes qui, à cette époque, était vue comme un trait d’avant-garde.
ECOUTE : Three Places in New-England, “Putnam’s Camp” (1914), C. Ives. Dans ce 2e mouvement, la musique semble simple à première vue, une sorte de ragtime, de musique de fanfare, mais qui est constamment déstabilisée par des changements d’accents et des mélodies dans différentes tonalités (polytonalité).
La musique de C. Ives est une musique qui fait appel à des éléments simples, facilement identifiables, mais qui sont agencés de manière inhabituelle. La complexité vient de l’organisation, de la superposition des éléments, pas des éléments en eux-mêmes. C’est une musique résolument moderne, expérimentale, mais qui garde un pied dans la musique populaire et permet ainsi d’être accessible malgré sa grande complexité.
John Adams, va suivre la même voie. Sa musique est globalement complexe, mais le fait que certaines mélodies soient répétitives, et la présence fréquente de la pulsation, permet à l’auditeur de trouver des points de repère et finalement lui permet de surmonter la complexité de la musique. L’influence de Charles Ives a été décisive pour John Adams
b) La musique minimaliste
On l’a déjà dit, la découverte de la musique minimaliste (L. Young, T. Riley, S. Reich) par John Adams dans les années 1970 a été une révélation. C’est une part importante de son style musical, mais comme on vient de le voir, ce recours à des éléments simples, minimalistes, ne sera jamais « simpliste » chez lui. Comme Ives, Adams aime la complexité dans la simplicité (ou le contraire !). Le style minimaliste (pulsation, cellules mélodiques qui se répètent, tonalité) ne sera pour lui qu’un moyen de poser des points de repère (comme Ives avec ses mélodies populaires).
C’est pour cette raison que l’on ne qualifie pas John Adams de compositeur minimaliste, mais plutôt de compositeur post-minimaliste (il utilise le minimalisme comme un moyen, pas comme une fin).
Utilisant des moyens « minimalistes » donc, la musique de J. Adams est souvent simple à première vue. On peut facilement s’accrocher à une pulsation, à un rythme régulier ou à une mélodie répétitive, mais si l’on y prête attention, sa musique est en réalité particulièrement complexe. C’est exactement ce qui se passe dans sa pièce The Chairman Dances (déjà écoutée). Le début est simple, une pulsation très présente, une cellule mélodique de 2 notes, une harmonie statique, mais lorsque l’on est attentif à tout ce qui se passe, on découvre alors un foisonnement orchestral très complexe.
ÉCOUTE : The Chairman Dances (1985).
Un autre exemple dans cette pièce pour deux pianos, Hallelujah Junction. Elle consiste en la superposition de motifs mélodiques simples, mais dont l’agencement engendre une musique particulièrement complexe. Elle reste cependant facile d’accès grâce à la pulsation, à son aspect répétitif et à son harmonie qui évolue peu. Mais il faut bien avoir à l’esprit que malgré cette simplicité apparente, c’est une pièce extrêmement difficile à exécuter et d’une grande complexité compositionnelle.
ECOUTE : Hallelujah Junction (1996)
c) Le romantisme.
Au conservatoire et à l’université, John Adams a longuement étudié l’orchestration et la direction d’orchestre. Il en a tiré un goût très prononcé pour la musique romantique et particulièrement pour les œuvres de grande envergure faisant appel à un orchestre imposant. Les musiques de John Adams, sauf les pièces pour piano seul, ont souvent recours à un orchestre symphonique extrêmement large (cordes, vents, beaucoup de cuivres et de percussions). Adams est un orchestrateur hors pair, qui sait tirer parti de toutes les possibilités instrumentales de l’orchestre symphonique. Sa manière d’orchestrer est extrêmement riche et témoigne d’une connaissance très approfondie du répertoire symphonique, particulièrement romantique et moderne. Il a de temps en temps recours à l’électronique (synthétiseur ou sample), mais sa musique et résolument plus symphonique que celle des autres minimalistes et de celle de Richter par exemple. En ce sens Adams est un compositeur plus « académique ». Cela explique aussi le fait qu’il n’hésite pas à réutiliser des formes « anciennes », comme le concerto par exemple, un genre assez délaissé au XXe siècle, ou bien l’opéra ou la symphonie.
On qualifie ainsi parfois Adams de compositeur néoromantique pour son écriture orchestrale très riche et son goût pour la virtuosité instrumentale.
Alors que les minimalistes avaient en effet tendance à rejeter la virtuosité, associée à l’avant-garde, la musique de John Adams est souvent particulièrement complexe à interpréter. Que ce soit pour l’orchestre ou pour les instruments solistes, c’est une musique qui attire de nombreux interprètes pour sa richesse instrumentale, sa virtuosité et sa variété.
Pour résumer, John Adams est un compositeur post-minimaliste néoromantique !
d) La fanfare et le jazz.

On l’a déjà dit, la musique de J. Adams est très influencée par les sonorités des fanfares auxquelles il a participé étant jeune. C’est une musique peu présente en Europe, mais il faut avoir à l’esprit que cette musique fait partie intégrante de la culture américaine. La pratique de la fanfare, de l’orchestre d’harmonie, ou encore du Marching band est une pratique extrêmement rependue aux États-Unis, et constitue une référence musicale assez généralisée dans la population.
Dans sa musique, cela va se traduire par :
- Une présence très massive des cuivres et des percussions,
- Une grande importance accordée aux bois et particulièrement au pupitre des clarinettes (instruments à la base de l’orchestre d’harmonie, ce sont les clarinettes qui remplacent les violons dans un orchestre d’harmonie) :
- Par une pulsation très présente, souvent renforcée par la grosse caisse,
- Par un caractère très dynamique et très rythmique.
Ce sont justement des éléments que l’on retrouvera dans sa pièce au programme Short Ride in a Fast Machine (1986).
ÉCOUTE : Short Ride in a Fast Machine (1986).